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mercredi 15 février 2012

La Chair et le sang VS Berserk


Dans la catégorie « tout est bon à prendre pour éviter de bosser » et « j’en ai marre d’attendre la traduction de l’épisode 327 de Berserk qui est diantrement bon mais que je comprends rien à ce que les gens ils disent dedans », voici une petite étude comparative de mon cru (pas que ça aille bien loin, mais bon) entre Berserk et une de ses références de base : La Chair et le sang (Flesh+Blood en anglais), film de 1985, sanglant, violent, barbare, cruel (etc) de Paul Verhoeven (oh, que je kiffe les références de Kentaro Miura !), mettant en scène une bande de mercenaires au temps des cassages de château, qui rêvent de gloire et de fortune, et finissent sacrifiés sur l’autel de l’ambition des autres.
Yep.
Ambiance très « Âge d’or », quoi.


Synopsis du film :

« En Europe, au 16e siècle, une bande de mercenaires, menée par Martin, sort vainqueur d’une bataille pour le compte du Seigneur Arnolfini. Mais lorsqu’il est trahi par ce tyran, Martin prend les armes et se retourne contre son ancien chef. Les mercenaires enlèvent alors Agnès, la future épouse de Stephen – le fils d’Arnolfini – et se réfugient dans un château dont ils se sont emparés. Pour sauver sa vie et se protéger de ses hommes, Agnès manipule Martin. Pendant ce temps, Stephen installe un siège autour du château pour récupérer sa belle. »

(jaquette du DVD)


Rien qu’à la lecture du synopsis, on voit bien que l’histoire présente quelques similitudes très frappantes : une bande de mercenaires, un leader charismatique, une trahison impardonnable, un individu qui se révolte contre son destin, des batailles médiévales…

Mais là où les ressemblances sont vraiment sympa, c’est dans les détails. Car Miura est un grand amoureux des détails. Et il y a des tas de petits éléments, dans La Chair et le sang, qu’on peut s’amuser à retrouver, sous une forme ou sous une autre, dans Berserk.


Allons-y gaiement :

Tout d’abord, un petit truc important que je ne peux pas laisser passer : Kentaro Miura a déclaré que, physiquement, la principale inspiration pour Guts est Rutger Hauer (est-ce que j’ai déjà mentionné à quel point je KIFFE les références de Miura ?...).



Hum... Rutger Hauer et Brion James dans le même film? Oh, hé, attendez, j’ai comme une impression de déjà vu, là…



Aaaah, nostalgie. Le temps où Ridley Scott réalisait des chefs d’œuvres. Le temps où les adaptations de Philip K Dick n’étaient pas des daubes hollywoodiennes.
En plus Verhoeven a réalisé ma deuxième adaptation ciné préférée de PKD :


Mais je m’égare.

Outre le physique, Martin est, à mes yeux, le personnage le plus proche de Guts dans F+B (malgré des situations qui le mettent plutôt en parallèle avec Griffith… tout est entrelacé) :

Un mercenaire expert du maniement de l’épée, d’humble naissance, illettré, qui a la vie dure, absolument increvable, grand, fort, viril, un peu psycho sur les bords (tout ça tout ça), et dont la capacité de survie repose essentiellement sur le pragmatisme et l’expérience acquise sur le terrain : Guts / Martin est un pro de la survie. Il est illettré, mais pas stupide (loin de là), ni complètement inculte d’ailleurs. Il sait exploiter toutes les situations, et il est un leader naturel.

Martin / Guts et sa bande sont trahis par leur capitaine / général, ce qui conduit à une situation désespérée et dramatique.
Céline (Susan Tyrrell), qui clame être enceinte de Martin, perd son enfant prématurément à la suite de ces événements.

On peut aussi faire le parallèle avec Shizu et Gambino : Shizu est victime d’une fausse couche, ce qui la laissera marquée à vie… De même l’infortunée Céline perd son bébé (qui finira dans la boue…), ce qui n’est pour elle que le début d’une suite de misères sans fin, au bout de laquelle elle aura tout perdu.



Martin décide de se venger contre celui qui est responsable de leurs malheurs : Arnolfini. Mais leur combat semble perdu d’avance, car la fatalité joue en faveur de ceux qui sont déjà favorisés : les riches et les puissants…

Finalement, malgré l’acharnement du sort, Martin se sortira vivant de l’aventure, seul, avec son épée et un ballot, dans la fumée, s’éloignant dans un décor apocalyptique…



Evidemment, je ne peux pas non plus passer à côté des parallèles Martin / Griffith, qui sont si nombreux et si éloquents :

Martin / Griffith, chef mercenaire charismatique, inspire naturellement chez ses hommes la loyauté, l’affection, l’admiration, voire le fanatisme. Pour Martin, ce fanatisme est incarné par un personnage bien particulier : le Cardinal. Religieux psychotique qui fait intégralement partie de la bande, et qui n’hésite pas à mettre la main à la pâte en butant les blessés et les « impies », cet intéressant personnage voit des présages partout et élève Martin au rang de figure messianique, censée conduire la bande à la richesse, la gloire et le salut, et qui partagera absolument tout avec les siens.


Bien sûr, quand on décrit la personnalité du Cardinal, on pense à une autre figure religieuse au fanatisme forcené, qui sert de précurseur à l’arrivée d’un « messie » douteux : Mozgus.


Martin ne croit pas vraiment aux prophéties du Cardinal, mais étant donné que le Cardinal est un gros psychopathe extrêmement dangereux, il décide de jouer le jeu… tant que ça l’arrange. Quitte à forcer un peu le « destin » de temps en temps^^. Oui, Martin / Griffith est un peu manipulateur et opportuniste comme ça… Il est aussi ambitieux et aspire à une condition meilleure, ce qui le pousse à la folie des grandeurs.

Après une embuscade réussie dont Arnolfini sort grièvement blessé, Martin et sa bande acquièrent un otage très intéressant : Agnès (Jennifer Jason Leigh), la fiancée de Stephen, le fils d’Arnolfini. Je parlerai d’eux plus en détail un peu plus bas. Martin veut Agnès pour lui seul : ce désir le pousse à tricher un peu avec les signes du Cardinal, ce qui provoquera leur perte à tous.
Mettez ça en parallèle avec Griffith qui perd tout après sa nuit avec Charlotte…

Après, il y a des parallèles qui sont vraiment dans les détails visuels ou autres :

La distinction par la couleur blanche

La coupe empoisonnée

La scène où Martin nargue Stephen avec Agnès rappelle un peu la scène entre Femto, Casca et Guts.


Mais il y a un autre personnage, dans F+B, qui rappelle tour à tout Guts et Griffith : c’est justement le principal antagoniste de Martin : Stephen.

Je dois avouer que j’ai beaucoup de mal à éprouver de la sympathie pour Stephen. J’admets qu’il a un certain courage. Mais j’ai un fort parti pris pour Rutger^^.

Et franchement, dès la scène d’introduction de Stephen, je ne peux pas m’empêcher de penser à un autre personnage de Berserk, un fils à papa qui se rend bien ridicule d’entrée de jeu : l’inénarrable Magnifico.

Là où Stephen me paraît impossible à trouver sympathique, c’est que ses motivations profondes sont égoïstes et fondées uniquement sur la valorisation de soi. Il est ingénieux, intelligent, plein de ressources, et tenace. Mais pour quoi se bat-il ?
- pour prouver la validité de ses théories scientifiques, mettre en avant ses compétences d’ingénieur, et flatter son ego.
- pour venger l’honneur de son père blessé (qui n’aurait pas été blessé s’il n’avait pas trahi ses hommes à la base, hein), n’hésitant pas à bousiller la vie d’autres gens pour obtenir ce qu’il veut.
- pour récupérer sa fiancée qu’il connaît à peine, et qu’il semble considérer plus comme une « propriété » qu’on lui a volée que comme une personne de chair et de sang.

Si l’on compare sa situation à celle de Martin, ses motivations en paraissent d’autant plus creuses.
Fin bref.

Qu’est-ce qui rapproche Stephen de Guts ?

Justement sa ténacité, le fait qu’il revient toujours à la charge, infatigablement.

Et, principalement, des situations parallèles :

La scène du baiser


Dont le décor enchanteur rappelle bien entendu l’arbre des pendus de Berserk


La flèche dans la main

Son habileté à exploiter les lois de la physique, et notamment la foudre

Qu’est-ce qui le rapproche de Griffith ?

Ses talents de stratège

Et certaines situations :

Une partie de chasse aristocratique vire au speed dating.

La princesse trouve moyen de se faire courser par son futur fiancé… Mais Agnès n’a pas grand-chose à voir avec cette godiche de Charlotte.


Et pour continuer sur les parallèles entre les personnages, on peut parler un peu de la bande de mercenaires… et des autres.



Summer / Corkus:
Celui qui remet régulièrement en question Martin / Guts. Sa grande faiblesse, ce sont les femmes.

Little John / Rickert :
Juste parce que c’est le gamin de la bande.

Karsthans / Judeau :
Meilleur pote de Martin / Guts, loyal jusqu’au bout, meurt en martyr. J’aime bien Brion James, mais je trouve quand même Judeau vachement plus sexy que Karsthans. Et profond. Et… et… et… j’écrirai peut-être un article sur lui, un jour, éventuellement.
(va se moucher et essuyer une petite larme)

Polly / les prostituées d’Albion :
Rien que l’image de la prostituée sous une tente, ça évoque tellement de moments… On se rappellera que la bande de Gambino aussi était suivie par des femmes.

Hawkwood :
Encore un personnage qui tient à la fois de Griffith (rien que le nom…) et de Guts. De Griffith car il trahit ses hommes (quoique je sympathise infiniment plus avec les circonstances d’Hawkwood qu’avec celles de Griffith), de Guts à cause de sa relation avec Clara : voir Hawkwood et sa petite nonne à moitié folle, vivant en ermites dans leur petite maison, m’évoque Casca chez Godo.
Hawkwood est un homme en quête de rédemption : se sentant responsable du sort de Clara, une jolie nonnette brune aux yeux noirs qu’il a grièvement blessée par erreur, ce chef mercenaire fatigué décide de se retirer pour la soigner (mais ce faisant accepte de sacrifier ses hommes). Cependant Stephen ne tarde pas à revenir le chercher pour qu’il reprenne du service et l’aide à mater son ancienne armée, menaçant au passage d’enfermer Clara dans un asile de fous (toujours très sympa, ce Stephen). Hawkwood survivra à la peste, et remportera la bataille. Mais à quel prix ?
Hawkwood est l’un des rares personnages de F+B (peut-être le seul) à être fondamentalement aux prises avec sa conscience (même si ses sentiments vis-à-vis de Clara restent un peu ambigus). Je l’aime beaucoup, et j’adore la façon dont il est filmé dans cette scène, où il ressemble carrément à un samouraï :


Clara / Casca :
On ne sait pas grand-chose de Clara avant qu’Hawkwood lui éclate la tête à coup d’épée, à part que c’est une nonne, et qu’elle a la gâchette facile.
Et Casca a toujours eu un petit côté Jeanne d’Arc (motif qui est repris plus tard avec Farnèze et Sonia dans Berserk) : vierge guerrière, qui voue à son leader une adoration fanatique et le voit comme un messie, un envoyé de Dieu, une idole sacrée.
Après sa rencontre funeste avec Hawkwood et son épée, cette pauvre Clara ne sera plus jamais la même : souffrant à vie de problèmes neurologiques, elle est devenue simple d’esprit, et les contrariétés lui donnent des crises de violence incontrôlables. Accablé par la culpabilité, Hawkwood cherche à se racheter en veillant personnellement sur elle : il vit avec elle dans une maison retirée, où ils cultivent un potager et mènent la vie la plus paisible possible. Jusqu’à ce qu’Hawkwood soit obligé de se casser (et alors qu’advient-il de Clara ? Est-elle capable de mener une existence autonome ?).


Agnès :
Je me rends compte que j’ai encore très peu parlé d’Agnès, qui est pourtant un personnage central de F+B. C’est qu’elle ne correspond vraiment à aucun personnage de Berserk en particulier.
Une des caractéristiques principales d’Agnès, quand-même, est son incroyable instinct de survie. Petite noble tout juste sortie du couvent, Agnès est curieuse, subversive, s’intéresse à la sorcellerie et à l’acte amoureux, et est une redoutable séductrice. Elle a aussi un comportement horrible avec sa servante. Son caractère un brin psychotique et sa fascination pour « l’investigation de la nature » pourraient éventuellement la rapprocher de Farnèze.
Agnès est promise à Stephen. Elle s’en réjouit, et fait tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que la nuit de noce se passe de façon à ce que son tendre époux soit satisfait d’elle (en observant la nature à l’œuvre, dans les buissons). Malheureusement, Stephen n’est pas spécialement emballé par l’idée du mariage, parce qu’il a carrément mieux à faire (comme, par exemple, faire exploser les soldats de son père). Agnès en est fortement vexée, et s’emploie (avec succès) à le faire changer d’avis, et lui prouve qu’elle a une curiosité scientifique au moins aussi développée que lui. Elle l’ensorcelle littéralement en lui faisant manger une racine de mandragore.
Mais l’idylle est de courte durée : Martin et sa bande attaquent leur convoi, et Agnès est accidentellement capturée. Quand elle est découverte, elle se débrouille pour séduire Martin, et échappe ainsi à une tournante (elle est quand-même violée par Martin…). Dans une situation extrêmement précaire, elle commence alors à jouer à un jeu dangereux : elle entretien une liaison avec Martin, qui devient ainsi son protecteur, tout en maintenant la flamme de Stephen, pour qu’il ne l’abandonne pas à son sort, se batte pour elle, et la sorte de là.
En fin de compte, Agnès a bien du mal à choisir entre le jeune nobliau auquel elle est fiancée et la grande brute de mercenaire qu’elle a dans le sang (mais qui est un peu dangereux, quand-même). Finalement, cette petite anguille manipulatrice arrivera à se sortir de tous les périls, aux dépens de tous les autres.

Miel et Orbec / Raban et Owen :
Est-ce que je suis la seule à m’être toujours questionnée sur l’homosexualité entre Raban et Owen ?


Enfin, quelques dernières petites images :

Canons
Dans Berserk, Miura aime bien perturber nos références historiques en mélangeant des éléments de plusieurs périodes : les batailles médiévales rencontrent l’ère du canon.


Mandragore

Scène du bain

Bout de bois dans l’œil

Le chandelier est une arme comme une autre


Pour conclure :

La Chair et le sang est un film que je recommande absolument, pour ses qualités intrinsèques : une fable violente et cruelle, où aucun personnage ne s’en sort moralement ou physiquement indemne.
Et, en tant que source d’inspiration berserkienne, c’est un excellent exemple pour comprendre comment fonctionne l’imagination de Miura : à partir d’une image ou d’une idée, d’une forme, d’un objet qui le frappe, il l’assimile, l’intègre à son propre univers visuel et thématique, et le transforme en pièce de son monumental patchwork d’une façon telle qu’il est à sa place, parfaitement intégré, indissociable de l’ensemble. Ce sont de tels détails qui donnent à l’univers de Berserk son épaisseur, sa complexité, sa crédibilité, et aussi sa poésie.
Et c’est aussi fascinant de voir à quel point la culture occidentale joue une part importante dans les références de Miura.

Et je vais m’arrêter là de mes divagations, parce que j’en ai encore écrit des tartines indigestes !

4 commentaires:

  1. Merci d'avoir mis en évidence toutes ces ressemblances.. J'apprécie aussi les nombreuses références de Miura..

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  2. Et merci à toi d'avoir eu la patience de lire mes élucubrations! :)

    Et, oui, toutes les références de Miura sont tellement, tellement diverses, on en a jamais fait le tour, et c'est fascinant.

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  3. Je suis très contente d'avoir trouvé ce blog et notamment cet article super bien fait, je vais de ce pas regarder ce film! Merci beaucoup.

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  4. Article très intéressant à lire, c'est le moins qu'on puisse dire.

    Étant un grand fan de Berserk, il faudrait que je pense à regarder le film un jour ou l'autre. Kentaro Miura est quelqu'un d'extrêmement cultivé, à ce que je vois.

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