Présentation :
Véritable icône de la culture underground et gothique, James O’Barr a réalisé sa première œuvre, le roman graphique The Crow, entre 1981 et 1989.
La genèse de l’œuvre contribue en grande partie à sa légende, puisque c’est une tragédie personnelle qui en est directement à l’origine : après avoir brutalement perdu sa compagne, fauchée par un conducteur ivre, James utilise le dessin et la peinture comme exutoire à sa douleur. Et le résultat est tout simplement sublime.
Œuvre cathartique s’il en est, The Crow est un conte moderne gothique dont le décor est un Detroit ravagé par la criminalité, la drogue, la pauvreté, et la violence gratuite. Un esprit vengeur revenu d’entre les morts, aidé par un mystérieux corbeau, entreprend de tuer systématiquement ceux qui l’ont assassiné et ont massacré sa fiancée.
Mon avis :
James O'Barr avec Brandon Lee sur le tournage du film |
Depuis des années, je connaissais le film et la destinée tragique de Brandon Lee, mais il a fallu que je regarde les bonus du DVD pour découvrir l’histoire de James O’Barr, ce qui déclencha immédiatement un vif désir de parcourir les planches de son œuvre. Mais The Crow n’est pas un recueil facile à se procurer ; j’ai dû patienter un long moment avant de pouvoir profiter d’une réimpression de l’édition US, que je m’empressai de commander sur Amazon.
Je pense que c’est déjà clair même pour ceux qui ne connaissent pas, vu ce que j’en ai déjà dit : The Crow n’est pas une « simple » œuvre de fiction ; la bande-dessinée a un caractère autobiographique, intime, personnel. J’avoue que j’avais quelques appréhensions pour aborder cette lecture : connaître l’histoire qui a donné naissance à la BD n’allait-il pas influencer mon jugement ? Sans doute. En fait, maintenant que j’ai terminé la lecture, j’en suis à peu près persuadée : ma lecture de The Crow, la façon dont je l’ai perçu, apprécié, a été très influencée par ce que je savais de l’auteur. Mais en même temps, il me semble que cette dimension de l’œuvre est primordiale, et qu’il est important de l’avoir à l’esprit pour comprendre la démarche de l’auteur.
Scan maison, un peu tordu mais bon^^ |
Quoi qu’il en soit, j’avais des attentes assez élevées, et… j’ai adoré. Sans doute justement à cause de ce caractère autobiographique, The Crow possède une force qui réside dans la simplicité même de l’histoire racontée. Les planches en noir et blanc, qui empruntent beaucoup à l’esthétique expressionniste et à l’imagerie gothique et romantique, sont magnifiques. Selon les pages (et même souvent à l’intérieur d’une même page), James O’Barr alterne plusieurs techniques, qui donnent au dessin un aspect qui diffère selon la dureté (ou au contraire la douceur) des traits, l’utilisation des ombres, des dégradés, des noirs, des effets de flou, des textures… Comme je n’y connais pas grand-chose, il me manque le vocabulaire pour en parler comme il faudrait, mais bon, vous avez compris l’idée (enfin j’espère !^^). Tout cela, évidemment, contribue fortement à l’ambiance du recueil : la narration alterne les scènes entre la chasse d’Eric et des séquences de souvenirs ou de rêveries où il revit son bonheur perdu avec Shelly. En fait au moment où The Crow commence, Eric est déjà en pleine quête vengeresse, et l’agression d’Eric et Shelly est montrée au milieu du recueil, dans un flash back (et je sens que des parallèles fort douteux avec un certain manga commencent à me venir à l’esprit, mais je suis d’humeur clémente et vous épargnerai ces divagations sans intérêt).
La tonalité du recueil alterne ainsi entre des moments de violence dominés par un humour très noir, et des moments de « pause » dominés par la nostalgie et un lyrisme mélancolique. Ces différentes facettes rejoignent un thème très présent dans tous les symboles qui gravitent autour d’Eric, à commencer par son maquillage de clown triste (mais arborant un sourire moqueur), à l’image des trois masques de théâtre qui décorent sa maison et qui arborent les trois expressions : joie, tristesse, colère.
On peut aussi remarquer que le mystère a une place très importante dans The Crow : beaucoup de choses restent dans l’ombre, et à vrai dire ce n’est pas plus mal car c’est la force symbolique qui prévaut, et une explication artificielle de la résurrection d’Eric ou de la nature du corbeau aurait été par trop réductrice, et trop « propre ».
Au niveau des influences, il faut au moins citer The Cure, Joy Division (d’après les propos de James O’Barr, le rock l’a plus inspiré pour The Crow que n’importe quel comic book), Arthur Rimbaud et Edgar Poe, qui font l’objet de citations tout au long du recueil.
A la lumière de cette lecture, on peut dire que l’adaptation cinématographique d’Alex Proyas a pris pas mal de libertés : le scénario a été entièrement remanié (même si la majorité des éléments de la BD ont été conservés) et étoffé, bizarrement l’ambiance du film fait plus « comic book » que celle du recueil. Bien sûr le film a été revu de manière à toucher un public assez large. Cependant, sur le fond, l’adaptation ne trahit pas l’œuvre d’origine, au contraire elle reste très respectueuse de l’esprit de l’œuvre de James O’Barr et lui rend un bel hommage. Le montage (un des points forts de la réalisation, il faut dire que The Crow est le premier long-métrage du réalisteur, qui jusque-là avait réalisé des clips musicaux) rappelle beaucoup la construction des séquences dans la BD ; la BO de Graeme Revell (à laquelle plusieurs groupes, dont The Cure et Nine Inch Nails, ont participé) est fantastique ; et la performance de Brandon Lee, manifestement très inspiré par le rôle (j’ai cru comprendre qu’il était un lecteur enthousiaste de la BD), en fait l’incarnation parfaite du personnage. Malheureusement cette incarnation aura été la dernière de sa carrière, puisqu’il est mort accidentellement en plein tournage.
Pour finir, deux vidéos : la première est une fanvid que j’ai trouvée par hasard sur Youtube, qui alterne des images de la BD et du film (avec en fond musical les Foo Fighters, Let it die) ; la deuxième est la preview de Sundown, « western gothique » et dernier opus en date de James O’Barr.
Quelle belle chronique ! J'ai fortement envie de découvrir cette oeuvre maintenant.
RépondreSupprimerComme tu le dis très justement, je pense qu'il est normal d'intéger la vie de l'auteur à son oeuvre et c'est d'autant plus vrai pour les poètes par exemple, c'est indissociable pour moi.
Par contre c'est quoi ce manga (j'en connais quelques-uns mais pas énormément) qui suit le même schéma ?
Merci beaucoup!^^
RépondreSupprimerLe manga en question est Berserk, mais comme je le dis dans la chronique le parallèle est assez douteux (c'est juste qu'étant une grande obsédée de ce manga, j'ai une fâcheuse tendance à faire des parallèles à tort et à travers dès que je vois ou lis une oeuvre de fiction qui présente quelques points communs avec lui...).
Mais c'est vrai qu'il y a une sorte de schéma commun: démarrage in medias res, personnage principal violent, tourmenté, qui ne vit (ou n'existe) plus que pour la vengeance, la forte présence du surnaturel, l'ambiance gothique (pour Berserk c'est surtout vrai dans les trois premiers tomes, ensuite il y a rupture), et la scène traumatique à l'origine de tout qui est dévoilée beaucoup plus tard (pour Berserk, le fatidique tome 13), plus quelques éléments supplémentaires dont je préfère ne pas parler sinon je vais commencer à m'approcher dangereusement de la zone de spoil.
En plus la publication de Berserk a commencé en 1989, la même année que The Crow.
D'ailleurs si ça t'intéresse je parle de Berserk ici:
http://edwoodette-presente.blogspot.com/2010/10/berserk.html